Célébrons ensemble 140 ans de Heiva !

Nous abordons une période qui résonne singulièrement dans nos cœurs.

Tout d’abord, parce qu’elle signe le retour des chants et danses sur To’atä. De mémoire d’homme, il est arrivé par le passé que nos festivités les plus attendues ne puissent se tenir : épidémies, guerres, changement de millénaire… mais qui aurait imaginé que cela arrive aujourd’hui ? L’événement qui approche est d’abord le signe de la force de tout un peuple qui se relève face à ces moments difficiles.

Une année singulière également, car elle marque les 140 ans d’un festival qui est le plus ancien de la région océanienne, un rendez-vous annuel incontournable tant pour les Polynésiens que pour les étrangers, de plus en plus passionnés par l’expression de notre culture. 1881 – 2021, il était indispensable de fêter ensemble un tel rendez-vous.

Je suis fier aujourd’hui de voir à quel point ce festival, déjà, rassemble les services de la culture notamment, qui proposent chacun à leur niveau leur soutien et des événements qui viennent enrichir les festivités du mois de juillet. Les grands rendez-vous habituels ne feront pas défaut, avec les sports traditionnels, la marche sur le feu, l’artisanat… toutes ces occasions qui font de notre mois de juillet une véritable fête.

Dans le même esprit, il n’était pas envisageable d’impliquer les groupes de chants et danses dans la complexité, les enjeux et l’esprit d’un concours : c’est à un festival que nous vous convions. Rassemblons-nous. Rassemblons-nous sur scène, avec les artistes des 14 pupu ‘ori et 9 pupu hïmene. Rassemblons-nous dans les tribunes, pour partager nos émotions face à la beauté des spectacles qui seront interprétés. Rassemblons-nous au sein de notre culture, pour puiser dans nos racines la force d’avancer, de chanter et danser pour dire, avant tout, que nous sommes debout.

Bienvenue au festival Tahiti ti’a mai.

 

Heremoana Maamaatuaiahutapu, Ministre de la Culture

De l’ombre à la lumière, 140 ans de Heiva i Tahiti

Le Heiva que nous célébrons aujourd’hui est le fruit d’une longue histoire, parsemée d’interdictions et d’avancées, de réappropriation, d’un cheminement vers une expression plus intense et plus vraie de notre culture.

En effet, l’arrivée des premiers missionnaires a très vite eu pour conséquence d’interrompre les expressions culturelles traditionnelles. La danse surtout, jugée indécente par les européens, en fait les frais. Les « heiva » sont ainsi interdits en 1819 par le code Pomare, une décision renforcée en 1842, qui supprime cette fois-ci jusqu’aux « activités qui entrainent la danse ». Une timide adaptation en 1847 prévoit les jours où la danse est autorisée : ce sera le mardi et le jeudi uniquement et dans certains lieux.

Il faudra attendre finalement 1881 pour retrouver les premières expressions culturelles dans le cadre des festivités du 14 juillet… mais sans les danses, un sujet décidément sensible pour l’administration coloniale. A l’inverse, les chants et les sports sont à l’honneur : courses de chevaux, régates de baleinières fleuries, rencontres amicales de tärava pour louer les beautés des districts…

Peu à peu les danses seront progressivement autorisées, mais toujours strictement encadrées dans les tenues et la gestuelle. Le Tiurai permet de fédérer les Tahitiens autour d’une fête nationale, de resserrer les liens. Il devient une tradition pendant laquelle chacun vient défendre les couleurs de son district. Au fil du temps, le côté festif est de plus en plus marqué, on vient à Papeete pour un mois de fête, les baraques foraines s’installent sur le front de mer.

C’est avec Madeleine Moua, institutrice et directrice du groupe Heiva, que l’on marque en 1956 le début du renouveau du ‘ori tahiti. Entre la recherche d’expressions anciennes et l’innovation, la troupe Heiva rend à la danse ses lettres de noblesse, en fait un spectacle qui enchante la population mais peut aussi plaire à un public non averti.

D’autres après elle accompagneront ce renouveau et engageront leur propre vision des choses : Paulina Morgan, Coco Hotahota, Paulette Viénot, Gilles Hollande, Teupoo Temaiana, Iriti Hoto… 

En regard de cette histoire chaotique, les hïmene (de hymn en anglais) n’ont pas subi les mêmes aléas.  Moins polémiques que la danse, ils n’ont pas connu d’interdiction et ont pu traverser le temps, nourrir la polyphonie et la richesse de leurs voix, continuer à louer les terres et les vallées de chaque district. Ces chants polyphoniques complexes, qu’il faut comprendre un peu (la structure au moins) pour en saisir la beauté, sont le vecteur artistique privilégié de transmission de la langue, de la tradition, des légendes, et des références historiques. Les voix s’envolent, s’enroulent et se répondent, se soutiennent dans une polyphonie extrêmement structurée, et différente selon les archipels.

La pratique, moins prisée des jeunes générations, est-elle en danger ?  On peut en douter quand on voit le nombre et la vivacité des groupes de chant inscrits au Heiva depuis des années, une vingtaine à chaque concours depuis 20 ans. La magie des chants fait résonner To’atä et ses grands noms se murmurent toujours avec déférence : papa Ra’i, mama Penina, Jean-Pierre Cheung Sen, Mama Iopa… 

Ainsi, notre Heiva actuel est le résultat des premières activités autorisées en 1881 et des acquis conquis de haute lutte, au fil du temps. De la journée du Gouverneur en passant par le Tiurai et depuis 1985 le Heiva, l’événement se transforme, les catégories de concours vont et viennent, soulignant l’évolution des groupes, leurs attentes renouvelées. Mais quoi qu’il en soit, le Heiva reste le rendez-vous le plus important de l’année aux yeux de tous et comptera encore de longues années d’existence et d’émotion.